Quand il découvre Paris, à neuf ans, c’est « un éblouissement ». Le sentiment que sa vie ne serait plus jamais la même. Et puis, bien plus tard, il y a cette évidence : « C’est elle qui changera le cours de mon existence, qui gouvernera mes actions de tous les jours. C’était scellé. »
Benoît Richaer nous invite dans son IN PARIS.
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CREDIT : Photo © M. Khalil 2025
FQEP – Votre Paris à vous, comment le décririez-vous ?
Benoît Richaer – À deux pas d’ici, la place Saint-Médard : tous les dimanches matins, on y danse, comme un lieu de premier rendez-vous amoureux. Notre-Dame est proche ; Saint-Julien-le-Pauvre, poétique et exotique, vous attend, ainsi que les bouquinistes. C’est moins la beauté monumentale qui me retient, moins l’esthétique que l’existentiel. J’aime la familiarité des lieux, leur usage, leur pratique quotidienne.
FQEP – Paris le jour ou Paris la nuit ?
Benoît Richaer – D’abord l’anarchie de la nuit. C’est un silence très durassien qui permet de nourrir l’introspection, on peut être frappé plus encore par une beauté que l’on n’avait pas cherchée. Mallarmé préconisait d’épousseter son âme de l’expérience du monde tous les soirs, comme s’il s’agissait d’un vêtement. Le jour, à l’inverse, les images sont en accéléré, parce que Paris est une ville qui va vite. Il faut vivre à son rythme pour l’habiter complètement.
FQEP – Vivre à son rythme, c’est vivre vite ?
Benoît Richaer – C’est savoir renouer avec ce don naturel que nous perdons à l’âge adulte, qu’ont tous les enfants et les animaux : être dans l’instant, ne pas attribuer de significations secondaires aux choses. Se débarrasser de tout ce qui n’est pas essentiel et essayer de retrouver l’essence des sentiments humains. Ceux qui n’ont pas l’habitude de ce mouvement perpétuel vous parleront de stress et de fatigue, alors que non, il est juste question de vivre comme s’il n’y avait pas de prochaine minute. C’est pour cela que je vis très lentement (rire).
FQEP – Cet éloge à la lenteur en faites-vous une spécificité à Paris ?
Benoît Richaer – Qu’il puisse découler d’autres phrasés, d’autres tempi, d’autres dynamiques, d’autres couleurs parce que je ne serais pas à Paris, c’est indéniable. Prenons Venise où l’absence de voitures invite à une respiration plus profonde. Là-bas, la lenteur se glisse dans le clapotis de l’eau, le balancement des gondoles, la lumière qui caresse les façades comme un murmure. À New York, au contraire, la lenteur devient un défi, presque un acte de rébellion. Elle s’incarne dans un instant volé, au détour d’un coin paisible de Central Park, ou derrière un triple vitrage qui vous protège du tumulte. Mais au final la quête reste la même partout : celle d’un temps qu’il nous appartient de ne pas laisser filer.
FQEP – Qu’est-ce qui distingue Paris des autres métropoles ?
Benoît Richaer – Sa virtuosité.
FQEP – Pour celui qui découvre Paris, quel itinéraire lui conseilleriez-vous ?
Benoît Richaer – Éviter les balises, se laisser porter par ce qui lui échappe, avec un petit côté : allez, à quoi bon, partons à l’aventure !
FQEP – Vous souvenez-vous du jour où vous avez vu Paris pour la première fois ?
Benoît Richaer – Oh oui ! Ce sont des moments-pivots dans l’existence ! Malgré mes 9 ans, je ne savais rien de l’avenir, mais je percevais qu’il y aurait un avant et un après, que cette ville serait indissociable de mon être pour toujours. C’était scellé.
FQEP – Comment enfant vous regardiez Paris ?
Benoît Richaer – Mon « trop-plein d’énergie mentale » m’avait rendu asocial. Je fuyais ceux de mon âge avec qui je n’avais pas d’affinités. Au moment de la récréation, je m’isolais et j’attendais que ça se passe. J’avais l’impression de ne pas m’appartenir. L’idée qu’un jour j’irais à la conquête de la ville lumière m’aidait beaucoup, j’avais pressenti que cette ville me contiendrait à tous les sens du terme. Que c’était là que je respirerais enfin, que tout basculerait. Aujourd’hui encore, je me demande ce qu’il serait advenu de moi si je n’avais pas eu cette soupape de sécurité.
FQEP – Et pourtant vous n’êtes pas natif de Paris ?
Benoît Richaer – J’ai perdu ce sentiment de provenance, de racines, dès lors que je m’y suis vu renaître.
FQEP – Chacun a sa phrase pour définir Paris, quelle est la vôtre ?
Benoît Richaer – Je me méfie des formules toutes faites. Je préférerai toujours quelqu’un qui m’avouera être tombé amoureux fou de Pont-à-Mousson en me décrivant, ému, une place, une rue, ou encore le cap Blanc-Nez d’où, les jours de beau temps, on aperçoit l’Angleterre, plutôt que celui qui me dira, pour la centième fois : « Paris, c’est magique ! ».
FQEP – Le premier lieu à Paris qui vous a marqué ?
Benoît Richaer – J’ai un souvenir puissant du Café Pouchkine, rendu célèbre par la chanson de Gilbert Bécaud, Nathalie. J’ai encore le goût dans la bouche des délicieux pirojkis, du bœuf Stroganoff, des pâtisseries qui défilaient sur des plateaux, de la vodka qui coulait à flots. Ce café qui n’existe désormais plus.
FQEP – Quel est le lieu où vous avez du plaisir à revenir ?
Benoît Richaer – Les Arènes de Lutèce. Il y a le chaos de la rue, et hop !, on passe un mur, on est ailleurs. C’est là-bas que j’ai eu mes plus grands rendez-vous. Et puis des arènes pour nous retrouver, nous rencontrer, lire, écrire, plutôt que la terrasse d’un café. On n’est pas obligé d’avoir toujours soif ou faim, non ?
FQEP – Qu’est-ce qui vous ferait quitter définitivement Paris ?
Benoît Richaer – Je pense souvent à Hélène Grimaud que j’aime tant. Un regard a changé sa trajectoire : celui d’une louve. Elle décrit cette rencontre comme une « reconnaissance mutuelle ». Aujourd’hui, elle vit entourée de loups qu’elle protège, tout en poursuivant sa magnifique carrière. Il suffirait d’un tel signe et je partirais.
FQEP – Si Paris était une histoire ?
Benoît Richaer – Les Misérables de Victor Hugo et Paris est une fête d’Ernest Hemingway. Dans Les Misérables, Paris est le théâtre des injustices sociales et des révoltes. Dans Paris est une fête, c’est un monde bohème, libre et créatif qui est célébré.
FQEP – Si Paris était une chanson ?
Benoît Richaer – E penso a te de Lucio Battisti.
FQEP – Une vraie déclaration d’amour…
Benoît Richaer – Je ne connais pas de décor mieux planté pour aimer : cela n’impose rien à l’intellect, tout passe d’abord par l’instinct, la beauté, l’émotion. Et même dans la perspective d’un cœur brisé, l’amour est encore plus fort.
FQEP – La dernière émotion que vous a procurée Paris ?
Benoît Richaer – Notre-Dame. L’impression que le temps s’est installé de nouveau dans son corps. Qu’elle n’a plus peur de rien.
FQEP – Si Paris était un film ?
Benoît Richaer – La femme d’à côté de François Truffaut.
FQEP – Pourquoi ?
Benoît Richaer – Parce que « Ni avec toi, ni sans toi ».
FQEP – Si finalement Paris nous était conté ?
Benoît Richaer – C’est à Paris qu’ils ont trouvé l’amour inconditionnel. C’est à Paris qu’ils ont pu trouver non seulement leur place, mais la confiance en eux. C’est à Paris qu’ils ont pu développer leur potentiel, ressentir l’espoir. Toute leur vie passée à surmonter les obstacles, tout ce que, dès l’origine, on ne leur a pas apporté, Paris leur a donné. Je suis de ces gens-là.
© Propos recueillis par M. Las Dit Peisson